Par la porte d'en arrière
Coordination de verbes se construisant avec des prépositions différentes; verbes employés de façon absolue; entrer et sortir; entrer ou sortir.
Ah! les inoubliables joies de l’hiver. Tandis que mon regard traînasse dans la ruelle gavée de neige et que je pressens pour bientôt la prochaine séance de pelletage, je nous revois tous trois, ma sœur, l’aîné de mes frères et moi, descendre goulûment les pentes de notre enfance – ça n’allait jamais assez loin ni assez vite – puis remonter péniblement, en enfonçant ou en glissant à chaque pas. Toujours je finissais par pleurnicher, de lassitude.
Alors je rentrais. Ma grand-mère s’inquiétait si j’avais pris froid, tirait mes bottes. Je me réchauffais devant le poêle à bois; elle me faisait une beurrée. Mais ensuite je voulais ressortir, vous vous en doutez. «Habille, débille..., ent’ pis sort...», soupirait la plainte familière, dont évidemment je n’avais cure.
Entrer, sortir. Ces verbes étaient employés de façon absolue, c’est-à-dire sans complément; cela ne pose bien sûr aucune difficulté. Mais il en va autrement si l’on ajoute une précision de lieu, par exemple si l’on écrit (pardon si je vous ramène tout soudain à des considérations, hélas, en prise directe sur les réalités de notre temps) que des jurés étaient la cible de regards intimidants lorsqu’ils entraient ou sortaient de la salle d’audience.
C’est bien ennuyeux, mais les verbes entrer et sortir ne se construisent pas de manière identique : on sort de la cuisine, on entre dans le salon. On ne peut donc, en principe, les coordonner en leur attribuant un même complément; il faudrait écrire, en ayant recours à un pronom de rappel (en), que les jurés se faisaient dévisager lorsqu’ils entraient dans la salle d’audience ou qu’ils en ressortaient.
De toute façon, ç’aurait été tellement plus simple s’ils avaient pu entrer et sortir, comme nous le faisions petits, par la porte d’en arrière.
Line Gingras