Bon anniversaire / Nos vœux les plus sincères / Que ces quelques fleurs / Vous apportent le bonheur / Que l’année entière / Vous soit douce et légère / Et que l’an fini / Nous soyons tous réunis / Pour chanter en chœur / Bon anniversaire
La première fois que j’ai entendu cette chanson, c’était à une fête qu’on avait organisée à l’école de rang pour l’anniversaire de l’institutrice, madame Lebel. J’avais tout juste quatre ans, et je me rappelle avoir été très impressionnée... par l’élégance du texte, je pense, nouvelle pour moi et sans doute un peu surannée aujourd’hui. Dès le lendemain je réclamais qu’on me la rechante, la gracieuse chanson d’anniversaire que l’on n’entend plus jamais.
Et qu’est-ce que j’y faisais, à cette fête, moi qui n’allais pas encore à l’école? Mes parents m’y avaient amenée, apparemment, pour que je révèle à un auditoire nombreux et admiratif les trésors de mon répertoire enfantin : La sainte Vierge s’en va chantant... – avec les gestes –, et le reste.
L’institutrice, dûment émerveillée et reconnaissante (et probablement soulagée que ce fût fini, finalement), me fit venir ensuite à son bureau, sur l’estrade, fouilla dans une grande boîte...; d’où elle retira sous mes yeux ébahis, avec un froufrou de papier protecteur, un angelot de plâtre, tout blanc, qui jouait de la mandoline.
Il avait une longue robe qui lui cachait même les pieds, les cheveux assez courts et légèrement bouclés, des mains délicates, un air méditatif... Et il jouait divinement, quoiqu’en silence. Il demeurait dans la chambre de mes parents et je n’avais pas le droit d’y toucher, c’est donc mon petit frère qui l’a cassé, bien des années plus tard; mais il a accompagné toute mon enfance, mon bel ange à la mandoline, de son vague sourire très sage.
De la fête donnée en l’honneur de la maîtresse, je me rappelle encore le groupe de musiciens et un étrange numéro où plusieurs élèves, dissimulés sous un déguisement qui me laissa pantoise, représentaient une vache – à moins que ce ne fût un cheval.
Mais bon, ce n’est pas tout; car vous seriez affreusement déçu – déçue – déçus – déçues, je le sais, si vous deviez repartir sans que j’aie abordé la question de la semaine.
Que fait-on d’un anniversaire? On le marque, on le souligne, on le fête, on le célèbre. De même pour un centenaire, lorsque ce mot est employé au sens de «centième anniversaire (d’une personne, d’un événement)» :
Célébrer le centenaire de la fondation d’une ville, de la mort de X. (Petit Robert.)
Mais peut-on aussi commémorer un anniversaire, commémorer un centenaire, comme cela se voit assez souvent?
On va bientôt commémorer le centenaire de la naissance de Sartre.
Selon les dictionnaires généraux que j’ai consultés, commémorer, c’est «marquer par une cérémonie le souvenir d’une personne, d’un acte ou d’un événement» (Trésor de la langue française informatisé) :
Commémorer une victoire, la naissance, la mort de quelqu’un. (Trésor.)
On a élevé un monument pour commémorer cette bataille. (Lexis.)
Le maire voudrait commémorer la fondation de la ville. (Multidictionnaire.)
En théorie, commémorer un anniversaire, ce serait donc marquer par une cérémonie le souvenir de l’anniversaire dont il s’agit. Situation qui ne se produit guère dans la pratique.
De fait, d’après Marie-Éva de Villers, commémorer un anniversaire est un pléonasme. Gérard Dagenais résume ainsi la question : «On commémore un événement quand on en célèbre un anniversaire.» Joseph Hanse, à son habitude, établit quelques nuances : «Le langage châtié garde à commémorer son sens propre et évite de lui donner par extension le sens de "rappeler, célébrer, fêter".» (C’est moi qui souligne.)
Commencerait-on à tolérer un certain glissement? J’ai noté un exemple troublant dans le Petit Robert, à l’article «commémoration» :
La commémoration de la fête nationale.
Et le Trésor confirme que l’évolution de la langue ne respecte pas, dans ce cas-ci comme dans bien d’autres, la logique la plus rigoureuse; il admet effectivement, par extension, le sens de «rappeler, remémorer», et celui de «célébrer, fêter» :
Commémorer un anniversaire.
Le tour n’est pas à recommander; en ce qui me concerne, je ne suis pas près de l’utiliser. Reste qu’il ne faut plus le tenir pour absolument incorrect, et que l’on peut commémorer le centenaire de la naissance de Sartre, par exemple, bien que cet emploi relève de la langue relâchée.
Il ferait beau voir que le chœur des anges soit mis à contribution...
Line Gingras